Le pouvoir cadrant des notes scolaires

ParBernard Delvaux

Le pouvoir cadrant des notes scolaires

Quand l'institution scolaire se mit à jauger chaque élève en fonction de sa moyenne... Une opinion deYuval Noah Harari.

L'historien israélien Yuval Noah Harari a publié deux essais remarquables (Homo Sapiens et Homo Deus) où il brosse l'histoire de l'humanité et son possible avenir. Il y parle un peu de l'institution scolaire, notamment pour montrer combien l'institution du système de notes a un pouvoir structurant sur nos manières de concevoir l'éducation.

"Nos systèmes éducatifs modernes fournissent maints autres cas où la réalité s’est inclinée devant l’écrit. Si je mesure la largeur de mon bureau, peu importe l‘étalon que j’utilise. Que je dise 200 centimètres ou 78,74 pouces, elle reste la même. Mais quand les bureaucraties mesurent les hommes, les critères retenus font toute la différence. Quand les écoles se mirent à évaluer les individus en leur attribuant des notes précises, la vie de millions d’étudiants et enseignants changea du tout au tout. Les notes sont une invention relativement récente. (…) Ce sont les systèmes éducatifs à grande échelle de l’ère industrielle qui répandirent l’usage régulier des notes. Quand les usines et les ministères se furent habitués à employer le langage des chiffres, les écoles leurs emboîtèrent le pas. Elles se mirent à jauger chaque étudiant en fonction de sa moyenne, tandis que la valeur de chaque professeur et principal était jugée selon la moyenne générale de l’école. Du jour où les bureaucrates adoptèrent ce critère d’évaluation, la réalité s’en trouva transformée.
A l’origine, les écoles étaient censées se concentrer sur l’éducation et l’instruction des élèves, et les notes n’étaient qu’un moyen de mesurer la réussite. Assez naturellement, cependant, les écoles ne tardèrent pas à se concentrer sur la quête de bonnes notes. Comme le sait tout enfant, enseignant ou inspecteur, les talents nécessaires à l’’obtention de bonnes notes aux examens ne sont pas les mêmes que ceux dont on a besoin pour comprendre la littérature, la biologie ou les mathématiques. Tous savent que, si elles ont à choisir entre les deux, la plupart des écoles privilégieront les notes.
(…)
Le système a suffisamment d’autorité pour influencer les normes d’admission dans les grandes écoles et les normes d’embauche dans l’administration publique et le secteur privé. Les étudiants consacrent donc tous leurs efforts à obtenir de bonnes notes. Les postes convoités reviennent à ceux qui ont les meilleures notes, lesquels soutiennent naturellement le système qui les a mis en place. Le contrôle du système sur les examens lui donne plus de pouvoir et accroît son influence sur les grandes écoles, les postes administratifs et le marché de l’emploi. Si quelqu’un proteste en disant « ce diplôme n’est qu’un bout de papier ! » et se conduit en conséquence, il n’ira pas bien loin non plus.
(...)
Les fictions nous permettent de mieux coopérer, mais le prix à payer est que ces mêmes fictions déterminent aussi les objectifs de notre coopération. Nous pouvons donc avoir des systèmes de coopération élaborés, au service de buts et d’intérêts fictifs. En conséquence, un système peut sembler bien marcher, mais seulement selon les critères du système en question".

QUI DÉFEND CE POINT DE VUE ? Yuval Noah Harari, historien israélien

SOURCE : Yuval Noah Harari (2017), Homo Deus. Une brève histoire de l'avenir, Albin Michel.

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