Sébastien Gratoir
« Travailler bénévolement » ?
N’y a-t-il pas une contradiction ? C’est ce qui est maintenant pourtant « proposé » à travers le fameux « service communautaire » dans le Projet Individualisé d’Intégration Sociale (PIIS), contrat établi entre l’usager et son CPAS. Comment en est-on arrivé là ? Il faut savoir que la « contractualisation » de l’aide sociale a une longue histoire. Si l’on passe au dessus de l’esclavage, on peut retrouver le meilleur exemple entre le XVIIè et XIXè siècle avec les « Workhouses » en Angleterre. Enfermés, les « indigents » recevaient une aide (sociale), surtout à manger, en étant enfermés et obligés de travailler. Une catastrophe humaine. Bien plus tard, la sécurité sociale s’« officialise » et le plein emploi, dans le contexte des Golden Sixties, est bien présent. Les CPAS, fraîchement créés, ne sont là qu’« au cas où », si le citoyen a un accident de parcours pour lui permettre de vivre dans la dignité humaine. 1974, crise pétrolière et économique… ce qui était l’exception de sauvetage devient plutôt (ou presque) une règle. Le CPAS est encore aujourd’hui un filet pour de très nombreuses personnes exclues du monde du travail ou du monde tout court. Passant de l’Etat social à l’Etat social actif, les gouvernements successifs de ces quarante dernières années ont de plus en plus conditionné l’aide sociale. Il faut la mériter, il faut être actif, il faut, il faut…
Les mots pour le dire…
Ce n’est qu’en 2002 que le terme « contrat » apparaît officiellement dans les textes politiques, et pas sous un gouvernement de droite… Nous ne sommes plus dans l’aide sociale mais dans « l’action sociale ». Ce n’est plus un « revenu minimum garanti » (minimex) mais un « revenu d’intégration sociale » (RIS). Le vocabulaire conditionnant a son importance !
Quelles conditions ?
La recherche d’un emploi a souvent été mise en avant comme condition pour pouvoir continuer à bénéficier de l’aide. Dans la forme plus contraignante, cela a toujours été le leitmotiv de l’ONEM. Comment vérifier cela en CPAS sans les outils et compétences du secteur de l’Insertion Socioprofessionnelle ? L’Etat leur a donné des budgets pour prolonger cette mission de l’ONEM. Et si vraiment l’usager n’en trouve pas (car il n’y en pas mais ça on ne le dit pas), on en invente ! Les contrats « Article 60 » ont été créés pour « résinsérer » les usagers et, accessoirement, les faire sortir du circuit CPAS et leur donner le droit au chômage. Ces contrats, en partie ou entièrement payés par le CPAS lui-même comme employeur, étaient « offerts » la plupart du temps à des Asbl qui s’occupaient du suivi et de l’accompagnement, mais aussi à la commune ou dans le CPAS lui-même ! Un usager pour accueillir un autre usager… N’ouvrons pas le débat sur les belles et (très) moins belles histoires que cela a pu créer.
« Service communautaire »
L’accord gouvernemental de 2014 a franchi une étape de plus. Il y était stipulé que les chômeurs de longue durée devraient réaliser un « service communautaire ». Il faut savoir qu’une personne au chômage, qui souhaiterait être bénévole quelque part ne peut pas le faire sans l’accord de l’Onem justement. Auparavant, on ne poussait donc pas trop l’usager dans cette pratique où il aurait pu choisir ce qu’il voulait faire pendant qu’on lui paie une allocation. Pire, l’obliger aurait été ingérable par l’Onem. Par conséquent, cette idée est passée par le PIIS des CPAS. Qu’est-ce ? Depuis 2002 également (étrange étrange…), le PIIS est créé particulièrement pour les étudiants de moins de 25 ans en contractualisant officiellement l’aide. Le jeune ne doit pas chercher de travail pour avoir l’allocation mais il doit… faire tous les efforts pour réussir ces années d’étude, parfois travailler en job étudiant en juillet-août,… Aujourd’hui, on retrouve des dérives dénoncées par la Haute Ecole Paul-Henri Spaak (devenue HE2B), le Comité de Vigilance en Travail Social et le syndicat étudiant Unecof. Certains travailleurs sociaux jugent avec beaucoup de subjectivité les choix d’étude, les points (demandés illégalement parfois directement aux secrétariats des écoles) dès janvier, des preuves de suivi d’accompagnement par l’école, … Bref, une belle occasion de soutenir un étudiant financièrement qui peut se transformer en cauchemar lorsque cela se limite à un contrat non négociable (étrange pour un contrat), contrôlant, très contraignant et stressant pour l’étudiant (il risque de perdre son RIS en cas d’échec). Pas de signal de remise en question du côté des CPAS…
Le PIIS, maintenant généralisé à l’ensemble des usagers, était la bonne boite pour mettre leur idée de service communautaire. La loi, votée en 2016 à l’initiative du Ministre Borsus, l’annonce comme étant « sur base volontaire » mais « constitue une contribution positive tant pour le parcours personnel de l’intéressé que pour la société ». L’usager serait vraiment libre de choisir ? Il est stipulé que si l’usager donne son accord pour cette voie, il doit obligatoirement s’y soumettre jusqu’au bout, au risque d’encourir des sanctions… Plus fort, un service communautaire réalisé peut être considéré comme une preuve de « disposition au travail ». Ce contrat est-il vraiment refusable ou négociable par l’usager ? Le refuser ne risque-t-il pas d’être considéré aux yeux du CPAS comme une « non-disposition » au travail et donc une bonne raison de l’exclure? Il faut compter sur la bienveillance des travailleurs et conseillers sociaux… mais si elle est moins présente ? Du « volontariat » sous contrainte ou semi-forcé? Le Conseil d’Etat a lui-même montré du doigt cette idée mais cela n’a pas empêché la loi de passer en enlevant cette notion de « volontaire ».
Et quel questionnement sociétal à travers tout cela ?
Pourquoi les asbl, communes et Cpas auraient besoin de bénévoles ? Pour remplacer les travailleurs virés, plus ou jamais embauchés faute de moyens ? L’usager pourrait retrouver son propre job perdu (ce qui est déjà arrivé à l’étranger) mais comme bénévole? Pire, l’usager pourrait remplacer demain le travailleur d’aujourd’hui ? Une belle concurrence déloyale…
A quand une tout autre « action sociale » ?
A quand une mobilisation collective du service public et associatif pour empêcher cela ? L’Association de Défense des Allocataires Sociaux (ADAS) et le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP) ont réalisé un appel ci-dessous (dont cet article s’est inspiré) aux CPAS pour se déclarer « Hors service communautaire » (plusieurs CPAS l’ont déjà fait) et aux associations de refuser ces « services ». L’appel a déjà été signé par une centaine d’organisations.
Même comme simple citoyen, il y a une action concrète à faire !
Casser cet énorme préjugé comme quoi le travail bénévole forcé ou semi-forcé aidera un usager à « s’intégrer ». Non, ce n’est pas de l’ordre de sa « dignité humaine » (Loi organique des CPAS de 1976). S’il a envie, besoin de s’investir bénévolement… il pourra le demander/faire lui-même, sans contrainte. Quant à l’intégration… pensons plutôt comment la société l’a exclu et peut maintenant le ré-inclure suivant ses besoins à lui !
NB Les photos ont été prises durant la manifestation devant l’Hôtel de Ville de Liège le lundi 19 décembre 2016
À propos de l’auteur